Les discussions sur les formes distinctes d’oppression nous aident à développer une connaissance profonde de ces réalités. Par exemple, si nous nous intéressons aux diverses manifestations du racisme et avons lu à ce sujet, nous arriverons peut-être à mieux comprendre pourquoi un jeune homme noir de 11e année peut vivre des moments difficiles dans une salle de classe. Toutefois, si ce même jeune homme un trouble d’apprentissage, nous ne pouvons pas présumer comprendre son expérience en lien avec cette facette de son identité. Et nous ne pouvons pas non plus comprendre (sans demander et écouter) comment son appartenance ethnique et son trouble d’apprentissage se fusionnent pour former une expérience personnelle distincte qui forge son identité.
En ce qui concerne le sujet de pouvoir et de privilèges, les pensées compartimentées peuvent nous induire en erreur. Très peu de gens dans notre société sont en position perpétuelle de pouvoir absolu et de privilèges constants, ou d’impuissance absolue et d’oppression constante. En règle générale, nous ne pouvons pas diviser nettement les personnes en deux catégories : celles qui ont du pouvoir et celles qui sont impuissantes. Par exemple :
- Chaque personne se trouve dans une position de vulnérabilité à un moment donné dans sa vie, si ce n’est que pendant la période de l’enfance.
- Une communauté ethnoculturelle (voir Glossaire) établie depuis quelques années au Canada peut se trouver dans une position de pouvoir relatif par rapport à un autre groupe ethnoculturel dont les membres viennent d’arriver. On retrouve ces dynamiques de pouvoir à l’école entre les groupes d’élèves de chacune de ces communautés.
Le mythe de la normalité
De nombreux groupes dans notre société se retrouvent à l’extérieur du petit cadre de la « normalité » imaginaire. Par exemple, le personnel enseignant peut remarquer que de nombreux élèves ne vivent pas dans une famille nucléaire dite « normale » formée de deux parents hétérosexuels. Ils peuvent provenir d’un foyer monoparental, homoparental (deux parents du même sexe), ou éclaté (parents divorcés). Dans certains cas, ils vivent avec des adultes de la famille élargie ou avec une tutrice ou un tuteur. De nombreux élèves peuvent se sentir exclus si on fait référence à un seul modèle de famille. (Voir Élisabeth.)
Parmi les autres personnes qui vivent à l’extérieur de ce cadre restrictif sont celles qui ont un handicap physique ou une déficience intellectuelle (y compris celles qui ont des troubles d’apprentissage), la classe ouvrière, les personnes vivant sous le seuil de la pauvreté et les gens dont la langue maternelle n’est pas l’anglais, par exemple les Francophones et bon nombre d’Autochtones et d’immigrantes et immigrants. Les personnes âgées et les enfants peuvent également être en situations d’inégalité et d’exclusion en raison de leur âge.
Chevauchement des identités multiples
À travers les diverses formes d’inégalité et d’exclusion se retrouve la classe sociale. L’exclusion économique est une forme primaire d’injustice que vivent de nombreux groupes marginalisés (voir Khadar). L’homophobie est enchevêtrée avec le sexisme à cause des conséquences que les actes misogynes et les normes basées sur le genre ont sur les femmes et les hommes. (Voir Comprendre le sexisme, le racisme et l’homophobie). Il est impossible de comprendre le vécu des personnes dont l’orientation sexuelle ou l’identité de genre est marginalisée sans comprendre les rouages de la misogynie. Il est également crucial de comprendre l’homophobie pour démêler les façons dont le sexisme opprime les femmes. (Voir Justin, Jean-François.)
De nombreuses personnes disposent de plusieurs identités qui peuvent soit s’harmoniser parfaitement ou entrer en conflit. Lorsque qu’une personne n’est pas acceptée pour qui elle est, les problèmes d’inégalité et d’exclusion sont aggravés. Les sentiments d’invisibilité et d’exclusion peuvent être pires lorsqu’une personne est :
- forcée de choisir entre différentes identités : par exemple, un enseignant gai de classe moyenne voulant obtenir un poste de direction craignant de dévoiler son identité sexuelle à son école;
- rejetée des diverses communautés qui font partie de son identité : par exemple, elle a le sentiment qu’il y a toujours quelqu’un qui ne l’aime pas, qu’elle n’appartient à aucun groupe.
Afin de composer avec ces genres de situations, les gens peuvent développer une certaine déconnexion interne pour essayer de développer un sentiment d’appartenance dans diverses situations. (Voir Sabine, Dina.)
Les gens peuvent être également la cible de nombreuses injustices. Ils doivent donc surmonter un plus grand nombre d’obstacles et de messages négatifs. Par exemple :
- une jeune femme est exclue parce qu’elle est Noire et elle est intimidée parce qu’elle est lesbienne;
- une fille nouvellement arrivée est la cible d’intimidation parce qu’elle a un accent lorsqu’elle parle en français. Elle est aussi intimidée parce que ses vêtements sont différents et parce qu’elle n’est pas suffisamment « sexy ».
L’empilement de niveaux d’oppression peut augmenter la vulnérabilité d’une personne aux nombreux effets de l’exclusion. Le personnel enseignant peut observer un taux élevé de décrochage et de résultats scolaires inadéquats (ces tendances s’appliquent également à l’ensemble de la population étudiante). Les personnes qui sont opprimées à plusieurs niveaux risquent davantage d’être la cible d’agressions, d’abus et de discrimination. Par exemple :
- un jeune garçon ayant un handicap physique est agressé sexuellement par son gardien adulte. En raison de son jeune âge, personne ne le croit lorsqu’il essaie d’obtenir de l’aide.
Bien qu’il soit impossible de généraliser ou de présumer quoi que ce soit sur le degré ou la nature de l’oppression, des inégalités et de l’exclusion que vivent différentes personnes, il existe des points communs. Lorsque nous pouvons partager nos sentiments d’impuissance, d’invisibilité et d’exclusion, cela peut nous aider à connecter avec les autres en tant qu’êtres humains. L’échange de ces expériences peut également nous permettre de tracer la voie pour parler de l’inégalité et de l’exclusion dans les salles de classe et les écoles en aidant les élèves à faire le lien entre les sujets. Pour chaque école, le point déclencheur sera unique et pertinent à sa réalité.